Des mots pour dire...!

BAUDELAIRE ET POE '' le géni inconnu"

Né à Boston le 19 janvier 1809, Edgar Poe, est un poète nouvelliste, romancier, critique littéraire, dramaturge et éditeur américain. Pourtant ce génie n'était pas connu outre-atlantique et en Europe avant d'être phénoménalement traduit et commenté en France par Baudelaire.

 

En effet, il n'est plus a démontré que la responsabilité de la popularité de Poe en Europe, du moins en France, incombe à Baudelaire. C'est lui qui par divers moyens s'octroie la tâche de faire connaître celui qu'il admire passionnément, « son double, son semblable, son frère ».

Ainsi, dès les premiers contacts du poète français avec les écrits de Poe, une seule idée hante son esprit : le rendre célèbre dans son pays, la France. En fait, Baudelaire n'était pas le premier à traduire ce monument de la littérature américaine[1]. Mais tout se passe comme si Baudelaire qui avait révèle à l'Europe Poe.

D'abord à cause de son enthousiasme face au talent et à la vie de ce dernier. Même si l'on sait aujourd'hui que pour la partie biographique et critique de ses introductions, Baudelaire se contenta de traduire certains passages des essais des journalistes américains et pour les « Notes nouvelles sur Edgar Poe », il reproduisit des paragraphes de l'essai de Poe sur Hawthorne et du Principe poétique. Mais son enthousiasme à la fois d'ordre esthétique et d'ordre personnel ne manque pas d'attirer les regards sur Poe. Il met en place une propagande sans faille autour de son auteur. Baudelaire affirme que « la première fois que j'ai ouvert un de ces livres, j'ai vu avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés, mais des PHRASES entières écrites par moi, et imitées par lui, vingt ans auparavant[2] ».  Charles Asselineau authentifie cet extraordinaire vertige qu'avait le poète des futurs Fleurs maladives lors de sa découverte de Poe et combien il en fut marqué. Cette rencontre il la date à la parution du Chat noir, traduit par Isabelle Meunier, dans La Démocratie pacifique le 27 janvier 1848 :
« Dès les premières lectures il s'enflamma d'admiration pour ce génie inconnu qui affinait au sien par tant de rapports. J'ai vu peu de possessions aussi complètes, aussi rapides, aussi absolues. A tout venant, où qu'il se trouvât, dans la rue, au café, dans une imprimerie, le matin, le soir, il allait demandant : - Connaissez-vous Edgar Poe ? Et, selon la réponse, il épanchait son enthousiasme, ou pressait de questions son auditeur ».

Il interrogeait tout ce qui semblait informer sur la littérature américaine et s'offusquait si son interlocuteur ignorait la vie et les œuvres poesques. Il accablait les libraires étrangers de commissions et d'informations sur son auteur, même les garçons de café étaient interrogés dès qu'ils étaient soupçonnés de familiarité avec la langue anglaise. De fait, le poète français voulait faire une traduction parfaite et hors du commun en traduisant toutes les subtilités de l'œuvre de Poe. Le dévouement de Baudelaire face à cet auteur fut donc total au point qu'il passa dix-sept ans de sa vie à le traduire, des traductions qui surpassaient de loin celles existantes. Il contribua à donner une image de Poe qui était, semble t-il, la caractéristique des grands poètes, des esprits éclairés et incompris en le drapant de l'étiquette : poète maudit. En effet, comme ceux qui l'entouraient, Baudelaire avait été marqué par la pensée romantique selon laquelle l'artiste idéal est frappé du « guignon », conception exposé par Vigny. Alors, dans l'esprit de Baudelaire l'idée que Poe est imprégné par la malchance et l'hostilité de sa société natale et qu'il est à n'en point douter un grand poète, fait sens. C'est ainsi qu'il le présente au français et par implication à l'Europe. Dans un « Avis du traducteur » daté de 1864, il estime sa tâche finie, tout en appelant à la découverte d'Edgar Poe poète et critique littéraire. Il se dit alors « fier et heureux d'avoir introduit […] un genre de beauté nouveau » auprès du public français. Ici Baudelaire dévoilait Poe tout en s'identifiant à lui dans une singulière osmose encore jamais égalée. Ce nouveau genre de beauté n'est-ce pas tout le fondement de l'esthétique baudelairienne ? Mallarmé saisira cette affinité qu'il traduira par deux « tombeaux [3]». D'ailleurs, la postérité allait confirmer cette consécration de Poe par Baudelaire en Europe. Opportunément le critique français, Léon Lemonnier,  spécialiste de la relation qui unit Edgar Allan Poe et la France estimait en 1928 que « […] Baudelaire a contribué puissamment à la gloire de Poe par sa parole et par ses écrits »[4]

 

Par conséquent, le rayonnement de l'œuvre d'Edgar Allan Poe, sera visible immédiatement chez les poètes symbolistes tel que Mallarmé,  Paul Valéry d'où sortiront sa pensée et son œuvre, les surréalistes comme André Breton etc. du moins dans la poésie français de 1850 à 1920. « Cet homme-prodige » comme le nommait Valéry allait devenir le nouveau maître des lettres françaises. En Allemagne, l'univers cauchemardesque et sinistre de « ce cerveau complet » semble influencer les textes de Kafka. Les écrivains russes tel que Boulgakov, Dostoïevski et Tchekhov sont charmés par l'atmosphère fantastique de Poe. De plus, on considère qu'Edgar Allan Poe est à l'origine du roman policier moderne avec l'apparition du chevalier Dupin[5], ce détective qui doit faire face à une histoire de meurtre incompréhensible pour la police. Ce talent de Poe aura de l'écho chez Emile Gaboriau et Arthur Conan Doyle qui avoueront l'immense dette qu'ils ont envers Poe.

Aussi, le cinéma s'inspire t-il indirectement ou directement de lui. On citera à titre d'exemple Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick et même Vincente Minnelli. Il réinvente le roman de science-fiction avec le roman d'aventure dont Jules Verne saura retenir la leçon.

Enfin, des critiques et des auteurs de grande renommée se saisiront du Poe  essayiste, critique littéraire, théoricien de la littérature et parodique. Il s'agit pour l'essentiel de Valery Larbaud, Gaston Bachelard, Jacques Derrida, Jacques Lacan, Roland Barthes, Julio Cortázar, Tzvétan Todorov etc.

Edgar Allan Poe Meurt le 7 octobre 1849 à Baltimore, mystérieusement et dans le dénuement le plus total. Si les traductions de Baudelaire comporte quelques erreurs dues aux libertés prises, le rôle joué par lui dans la célébrité de Poe en Europe empêche un travail dans ce sens. Il n'y a que les textes qu'il a laissé de coté qui font l'objet des traductions plus récentes. Le renouvellement  des éditions de ses œuvres complètes à travers le monde 200 ans après sa naissance prouve que Edgar Allan Poe est l'un de ces « monstres littéraires » qui n'a pas fini de dire son mot aux générations futures.

 

Bibliographie :

-Charles Baudelaire, Ecrits sur la littérature, éd. établie, présentée et annotée par Jean-Luc Steinmetz, le livre de poche, « classique », paris, 2005.

-Edgar Allan Poe, Histoires, Essais et Poèmes, le livre de poche, « la pochothèque », Paris, 2006.

-Charles Asselineau, Charles Baudelaire sa vie et son œuvre suivi de Baudelairiana, préface de Georges Haldas, ''le temps qu'il fait'', 1990.

 

NB : cet article a déjà été publié dans la Revue littéraire NUGAE, et traduit en italien par Michele Peretti.

 

                                                Par Prisca MAMENGUI, doctorante en littérature comparée à l'université Paris XII, Créteil.

 



[1] Voir  Claude Richard, Edgar Allan Poe, journaliste et critique, librairie C. Klincksieck, 1978. pp. 658-660. il fait une bibliographie des traductions antérieures à la publication des Histoires extraordinaires.

[2] Correspondance de Baudelaire, éd. Claude Pichois, 2 vol., 1973, 1976, Gallimard, coll. « bibliothèque de la Pléiade » Vol. 2, p. 38.

[3] Stéphane Mallarmé, « le tombeaux d'Edgar Poe » (1883-1884), « le tombeau de Charles Baudelaire » (1895), in Poésies et autres textes, le livre de Poche, « classique », 2005, n°21001, p. 212-215.

[4] Léon Lemonnier, Les traducteurs d'Edgar Poe en France de 1845 à 1875, Charles Baudelaire, Paris, P.U.F. 1928, p.157.

[5] Charles Baudelaire, Histoires extraordinaires, « double assassinat dans la rue Morgue », une nouvelle de Poe.



21/08/2009
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